
ENTRETIEN en COHUE -
BC Je crois que cette romance trouvée au fond d’une laverie automatique fait bizarrement sens malgré nous. Une bonne nouvelle. Affaire à suivre… Pour en revenir à French Hair, quel élément ou événement t’as amené à penser à un salon de coiffure pour construire cette exposition dissimulée ? Parce qu’on est ici face à une exposition à couvert en quelque sorte. AB C’est toujours un peu difficile de retracer l’origine d’une idée. Je crois que cette volonté est née d’un environnement composé de choses de natures très différentes. D’une après midi avec Marc où nous sommes allés nous faire couper les cheveux ensemble, de nos discussions sur des formats d’expositions alambiqués, de la découverte d’un peignoir très spécial dans un salon de coiffure à Lyon, d’une idée aussi plus générale que l’experience d’une expo est avant tout celle d’une communauté qui s’agrège à un moment autour de pratiques et de personnalités. MG Oui des souvenirs qui vont peut-être même enrichir notre expérience présente. BC Faire parler les objets du salon de coiffure c’était un moyen de palier à l’ennui chez le coiffeur ? ME J’aime quand l’humour émerge de phrases qui ne sont à priori pas faites pour rigoler. CM However, this line of thought has a problem. BC Ils portaient des chapeaux ? CS Hahaha oui ! Mais le chapeau c’est un peu comme de sortir de chez le coiffeur. BC Oui c’est vrai, le chapeau c’est toujours délicat, d’ailleurs je l’ai remis aujourd’hui. PG Tu as fait bon voyage ? Tu reviens quand ? BC Je reviens début juillet, tu seras dans les parages ? D’ici là, j’aimerais en savoir un peu plus concernant ton projet pour Marseille. GS Bon désolé d’avoir pris un peu de temps, de mon côté je reviens de Norvège, pays dans lequel j’aurais bien troqué quinze minutes de canicule contre quelques moments de pluie soit dit en passant. CS Quand vous m’avez parlé du peignoir et de ce projet j’ai tout de suite pensé aux cheveux qui tombent dessus et qui finissent sur le sol. Les échanges de regards à travers le miroir avec la personne qui nous coiffe. Le malaise quand on ressort et qu’on cherche son reflet dans les portières des voitures. BC Le reflet qu’on cherche mais discrètement, comme si on ne voulait pas être remarqué entrain de se regarder. Quand je sors de chez le coiffeur j’ai l’impression d’avoir plus de cheveux sur la tête qu’en entrant, qu’on ne voit plus que ça. CS Haha oui, ça pourrait être fou de mettre une caméra cachée pour voir les attitudes des fraîchement coiffés à la sortie des salons. BC Une caméra postiche ? Derrière la vitre teinté d’une petite Fiat. MG Oui carrément ! AB Est-ce que tu pense que ce genre d’ambivalence se retrouve dans tes pièces, qui sans aller jusqu’à la punchline formelle, semble au moins issue d’un certain sens de la formule ? ME Je reviens à Ademo qui dans Bang par exemple, accentue le fait qu’il n’est comme personne en disant « j’suis pas comme eux encore moins comme toi (…) j’comprends quand tu dis que t’es pas comme moi ». Ce genre de formulations me donne envie de faire des comics strips ou des sculptures. J’avais il y a quelques temps produit une série de dessins où j’illustrais littéralement ce que j’entendais qui sortait de la bouche des chanteurs. BC Des quelques images que je peux voir sur ton compte Instagram ça me fait penser à Giorgio Morandi, le peintre italien, mais avec quelque chose de plus Fauve. Tu connais ce peintre ? Un peu comme si Morandi avait rejoint Gauguin et s’était mis à la peinture insulaire. MG J’adore la description que tu fais de mon travail. Oui je connais Morandi, J’aime le silence qu’il y a entre les objets, et cette espèce de concentration. RE The objects themselves also play a performative role in that the works printed on them (which perhaps were once kinetic of some sort) are now still, screen- grabbed or rendered immobile via the transportation of them from the digital into the real. What does it mean to bring a digitised object into a physical space? PG J’imagine une exposition qui prendra pour support les différents outils du salon, du peignoir au rasoir, des magazines de la salle d’attente aux miroirs qui font face aux sièges. Après je me suis demandé si les gens qui viendraient au salon se faire couper les cheveux en auraient quelque chose à foutre de notre histoire… mais déjà, l’idée d’un imprimé sur peignoir me plait et rien que pour ça je participe. BC Oui on s’est aussi posé cette question et de se placer sur un support propre au salon de coiffure nous a semblé plus juste, comme à couvert. Si cela pouvait être autre chose, tu as une idée de ce que tu mettrais dans un salon de coiffure ? CS J’avais une idée mais je ne l’ai pas fait finalement, c’est assez compliqué à réaliser. Je pensais à un savon rectangulaire transparent avec une toile d’araignée à l’intérieur. BC Avec une vraie toile d’araignée à l’intérieur ? PG Aucune idée, je fais toujours les choses au dernier moment. J’improvise. Je trouve que l’intervention sur les peignoirs est déjà bien suffisante mais si j’avais un truc à donner que je n’ai pas encore c’est un livre pour la salle d’attente. CS L’objectif serait que ça ressemble à la matière la plus légère du monde. Avec une fausse toile d’araignée, avec une vraie ça me semble beaucoup trop complexe. BC En parlant de livre d’ailleurs, j’ai terminé L’ancêtre de Saer, ça te plairait, un livre avec entre autre pas mal de gens nus dedans. Ça m’a donné envie d’être nu moi aussi, avec un peu tout, le temps, l’espace, les fleuves. PG C’est marrant je me suis baigné nu ce matin dans la rivière. MG Il y a un livre super que j’ai lu il y a peu, Le Tombeau d’Œdipe, pour une tragédie sans tragique aux Éditions de Minuit. C’est un livre qui décortique l’origine de la tragédie et ce qu’elle est devenue mais aussi comment elle est devenue au fil du temps une sorte de langage à part entière. BC Elle est belle la couverture, c’est un roman ?CS Oui, un roman autobiographique sur une relation affective entre deux personnes rencontré sur internet. ME Sinon j’écoute Denzel Curry, Goldlink et Tyler the Creator. C’est ma bande son du moment. BC Hier j’ai pensé à toi en me baladant dans l’exposition de Simon Starling au Plateau. Dans une des vidéos, un escargot déclare qu’Internet n’a pas de mémoire, que c’est juste un outil. PG La mémoire et la data sont au coeur de mes obsessions, un escargot peut certainement déclarer qu’internet n’a pas de mémoire mais je ne pourrais pas être aussi affirmatif étant donné que je me suis formé sur internet. GS En plus de ça, nos préoccupations se rejoignent sur plusieurs points. On travaille essentiellement à partir du corps, de son image ou de sa perception. On a un certain attrait pour l’obscurité, et on supporte bien Lana Del Rey, ce qui a été un facteur déterminant pour la réussite du projet. Nos méthodes de travail sont assez différentes. MG J’ai vécu à Brest c’est peut-être un peu l’influence inconsciente de l’école de Pont-Aven, mais aussi des paysages finistérien bruts aux couleurs oxydées qui sont rentrés dans mon travail. BC En n’imaginant la chose qu’à l’aide des descriptions, cela m’évoque le travail du peintre Rik Wouters et cette citation de Nel Wouters (femme et modèle du peintre) concernant sa manière de travailler : « Encore indécis sur ce qu’il fera ce matin-là, Rik et moi bavardons. Je sais déjà qu’il peindra car c’est dans ce but que je me suis habillée. Fatigue ou dégoût momentané de l’atelier, je ne sais quelle impulsion me donne envie d’être belle au repos et de passer quelques heures au gré de ma fantaisie. M’étant assise dans un fauteuil d’osier près de la fenêtre, Rik m’observe tout en bavardant. Je guette l’expression de ses yeux pour voir si j’ai pensé juste en me disant que Rik peindra. Après un impératif « reste », il prend une toile et commence à peindre comme si cette image faisait suite à notre conversation. » (1912)Cette dernière phrase surtout : « comme si cette image faisait suite à notre conversation. » Et cette idée qu’il n’y ai pas de rupture entre le fait de parler et de peindre par exemple. CS C’est drôle que tu dises ça car j’ai été myope une moitié de ma vie et je ne mettais quasiment jamais de lunettes. J’aime bien le flou, ça laisse de l’espace pour d’autres histoires. J’aime bien aussi l’idée que ce soit des arrêts sur image entrain de disparaître. BC Ces images fonctionnent un peu à la manière de souvenirs. MG Une bonne couche de temps oui ! J’aime bien tes formulations sur le temps. BC C’est presque de la chronophotographie ? CS Ha oui, on peut dire ça mais sans l’aspect physique. Je commence souvent un projet à partir de souvenirs. BC Tu vois les choses sur une sorte de timeline continue comme un temps épais ? Ou tu hiérarchise les choses : passé – présent – futur ? Je n’ai pas l’impression que tu sois dans un rapport de « rupture » avec le temps où les évènements. Mais plutôt comme si la chose était un espèce d’ensemble sur un même plan avec des interconnexions variées, complexes et parfois contradictoires. J’ai lu ça quelque part, dans une laverie je crois : « Avec le sang de qui, de quoi, mes yeux ont-ils été façonnés ? » PG Haha j’adore comment tu tentes la disruption, tu veux me mind-fucker c’est ça ? En tout cas, plus je vieilli, plus le temps est épais. Je pensais répondre à des questions et finalement c’est exponentiel, les réponses sont en fait des questions nouvelles. L’épaisseur c’est la somme de tous mes désirs ajoutées à mes frustrations. Le tout est à mettre en perspective avec le temps qui passe, toujours plus vite. Avant je fonctionnais par projets. Ils cohabitaient dans ma tête, s’entrechoquaient quelque fois mais je réussissais à les faire tenir structurellement. Aujourd’hui tout est plus flou, mais comme je te disais dans un message précédent, je pense souvent au futur. Et assez rapidement je le transforme en passé. Je vis peu au présent ou alors je ne m’en rend pas compte… et tu le vois bien. Nous deux, on est pote et je ne prend pas soin de notre relation. Je suis aspiré par mes projets futurs et très nostalgique de ceux que nous avons fait ensemble hier. Ça me rend triste parfois. C’est comme si le présent était inconsistant. Ça fait très longtemps que je m’interroge là dessus, déjà tout jeune je comptais les heures, puis les jours, les nuits, les semaines… Je voulais avoir accès au futur de moi-même, et chaque fois que j’y parvenais, j’étais déçu et je regrettais le temps d’avant. J’espère que tu me suis. CS Oui c’était dans cette idée d’une image qui comporterait du temps. C’est marrant que tu parles de laisser de l’espace pour d’autres histoires, dans ma peinture j’essaye de rester aussi à la limite pour ne pas trop en dire. Mais je suis myope aussi, peut être que ça joue sur ma façon de faire ou de voir. Ça gorge le travail ou l’image de quelque chose de moins sûre, de moins stable. Ça laisse de la place pour les autres. MG Oui c’est vrai, les personnages flottent, ou plutôt, dansent dans le même mouvement, comme s’il y avait des correspondances entre les choses et les êtres vivants, que les éléments déteignaient les uns sur les autres. J’ai justement une robe qui pourrait entrer dans l’une de ses peintures, je la porte aujourd’hui d’ailleurs ! BC Tu lis quoi en ce moment ? CS En ce moment même, Richard Yates de Tao Lin. BC Je serais curieux de lire ça. C’est myope comme manière d’écrire ? CS Oui on peut dire ça mais très lucide à la fois, j’ai quasiment lu tous ses livres, mais je crois que son style peut vraiment rebuter si on n’y est pas sensible. Et toi ? AB Ah ah, j’ai toujours été un très mauvais joueur de poker ! Des all-in à chaque pair ! HH Pour ma part il y avait un désir de sortir un peu de la solitude de produire seule. Je pense qu’un des enjeux tout au long de ce travail était : comment chacun de nous pouvait sortir de ses réflexes créatifs mais quand même se reconnaître dans le projets final. Comme l’a dit Guillaume, pour moi c’était évident que même si cela prend des formes très différentes, nos travaux personnels avaient des préoccupations communes. MG D’ailleurs, dans les transports, il y avait en face de moi un mec qui mangeait des petits pots pour bébé, ça sentait le chou. BC Pour en revenir à cette discussion de salon, le rasoir semble être le plus distant du brouhaha ambiant. C’est le type au coin du bar ? Comment il s’incarne au coin de la rue ?
COUPÉ EN 8 -